Pour une réponse apaisée au protectionnisme américain

Hugues Poissonnier - The Conversation

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Le protectionnisme des États-Unis censé protéger les travailleurs américains pourrait plutôt leur nuire. shutterstock

Hugues Poissonnier, Grenoble École de Management (GEM)

Cet article s'inscrit dans le cadre de la Chaire Mindfulness, Bien-être et Paix Économique de GEM.

À l’heure où les signes de reprise de l’activité économique se multiplient et où même l’industrie française semble confirmer son regain de forme, l’administration Trump vient de libérer un nouveau facteur de risque pour l’industrie et l’économie mondiale en relevant les taxes sur les importations d’acier à 25 % et d’aluminium à 10 %. Ce faisant, Donald Trump prend le risque, totalement assumé comme le soulignent ses déclarations belliqueuses, de relancer une guerre commerciale dépassant largement le cadre des industries initialement concernées.

Côté américain, donc, « le coup est parti », même si l’application de la mesure sera probablement différenciée : dans un premier temps, le Canada et le Mexique seront notamment épargnés. De l’autre côté de l’Atlantique, l’Union européenne doit réagir en assumant son rôle systémique en matière de commerce international : une réponse apaisée et apaisante serait plus que bienvenue.

 

Des mesures symboliques aux conséquences concrètes et néfastes

L’augmentation des droits de douane sur l’acier et l’aluminium constitue une mesure symbolique puisque selon Donald Trump, il n’existe « pas de grand pays sans industrie de l’acier ». Cette dernière, en plus d’employer de nombreuses personnes, permet d’alimenter et de rendre plus ou moins compétitives de nombreuses industries aval, dont celle de l’automobile.

twit Donald Trump 

 

« Nous devons protéger notre pays et nos ouvriers. Notre industrie de l’acier est en mauvais état. SI VOUS N’AVEZ PAS D’ACIER, VOUS N’AVEZ PAS DE PAYS ! »

Toutefois, en défendant son industrie de l’acier par la voie des taxes imposées aux concurrents étrangers, le risque est grand de réduire la compétitivité des industries consommatrices d’acier aux États-Unis. La décision de Georges W. Bush en mars 2002 d’augmenter les taxes de 8 % à 30 % sur l’acier s’était accompagnée, dans les mois suivants, de la perte de 200 000 emplois dans ces industries. Les conséquences risquent, une nouvelle fois, de s’avérer désastreuses, tant pour l’économie américaine que pour celles de ses partenaires.

Dangereuses réactions en chaîne

Au-delà des effets directs de ce protectionnisme, c’est l’évolution du statut des partenaires qui pose question. Se considéreront-ils encore comme tels alors qu’un supposé « allié » économique leur impose une si importante source de difficultés ? En matière de relations commerciales comme de tout autre type de relations, comme le soulignait Sartre, « la confiance se gagne en gouttes et se perd en litres ». La confiance entre partenaires commerciaux, une variable économique clé, se trouve ici bien mise à mal…

Ces mesures portent également en elles un paradoxe : en dépit de la place réservée à la Chine dans le discours de Donald Trump, cette dernière sera loin d’être la plus touchée. En effet, le pays n’occupe que la onzième position dans les importations américaines d’acier, et les exportations d’acier chinois vers les États-Unis chutent depuis 2011, date à laquelle l’administration Obama avait pris des mesures antidumping très efficaces. Les premiers touchés par le relèvement des taxes américaines sont les plus importants fournisseurs d’acier des États-Unis : le Canada, le Brésil, la Corée du Sud et le Mexique. L’Union européenne, avec notamment l’Allemagne, l’Italie et la France sera également fortement impactée.

En dépit de conséquences réduites pour son industrie, la Chine s’estime tout de même attaquée. En représailles, elle envisage des répliques centrées sur les produits agricoles, visant notamment à réduire les importations de sorgho et de soja américains. Au-delà de l’agriculture, son pouvoir de nuisance est élevé car elle peut procéder si elle le souhaite à une vente massive d’obligations d’État américaines.

De son côté, l’Union européenne réfléchit à un relèvement des barrières sur des produits fabriqués dans des États républicains (Harley Davidson, Jean Levi’s, bourbon…). Bien que de telles mesures découlent d’un raisonnement élaboré et se veuillent proportionnées, elles seraient très dangereuses en raison des effets d’emballement possibles et des inévitables « dommages collatéraux », expression consacrée lorsqu’il est question de guerre, même si elle est ici économique.

Un encouragement à la guerre des changes

Du côté de l’administration Trump, ces mesures protectionnistes sont présentées comme une réponse à la guerre des changes qui a déjà commencé. Depuis plusieurs mois en effet, Donald Trump demande à plusieurs pays de faire remonter la valeur de leur monnaie sous peine de déclenchement d’une guerre commerciale. Le Trésor américain, en effet de manipuler leur monnaie en vue de favoriser les exportations vers les États-Unis. Sur la liste de surveillance qu’il a établie figurent notamment la Corée du Sud, la Chine et le Japon.

Qu’ils aient ou non déjà contribué à la sous-évaluation de leur monnaie, les pays qui vont subir la hausse des tarifs douaniers américains pourraient être tentés de suivre cette voie pour compenser la perte de compétitivité résultante. Et ce même si tous les épisodes de dévaluations compétitives et de « guerre des changes » observés au cours de l’histoire aboutissent à une seule conclusion : ces pratiques sont non seulement inutiles économiquement, mais aussi extrêmement néfastes pour tous. Retour de l’inflation et ralentissement de la croissance, voire crise, sont toujours au rendez-vous.

D’autres mesures sont bien sûr possibles et les ripostes envisagées par la Chine et l’Union européenne ne font que préfigurer ce qui pourrait se transformer en une véritable guerre commerciale et économique, menée sur de nombreux fronts. Dans un contexte de montée des populismes et de perte de pouvoir de l’OMC (les États-Unis bloquent actuellement la nomination de juges qui permettrait un bon fonctionnement de l’ORD, l’Organe de Règlement des Différends, censé arbitrer les litiges commerciaux), le risque est d’escalade est grand…

Des solutions apaisées

Si l’on revient aux origines du problème, la volonté du Président américain de réduire le déficit avec la Chine et de défendre l’emploi aux États-Unis est légitime. Qu’elle donne lieu à des mesures concrètes l’est également. Que ces dernières soient issues de discussions constructives et coordonnées avec les partenaires commerciaux serait bienvenu et tout à fait possible.

Il n’est clairement pas dans l’intérêt de la Chine ou d’autres pays exportateurs de contribuer à la dégradation de la santé économique de partenaires dont ils ont besoin. Les États-Unis ont eux-mêmes souvent expérimenté le soutien à l’Europe ou au Japon pour trouver des relais de croissance dans diverses régions du monde. Encore très récemment, en acceptant une légère surévaluation du dollar, l’administration Obama a renforcé la reprise économique mondiale. La défense d’industries spécifiques est même tout à fait envisageable dans le cadre d’un protectionnisme éclairé et ciblé.

C’est le cas du protectionnisme altruiste proposé par Bernard Cassen. Destiné à protéger les pays développés et à favoriser le développement des pays du Sud, il reposerait sur des prélèvements sur les importations variables en fonction de critères sociaux et écologiques. Cassen propose par exemple une combinaison des critères de l’Organisation Internationale du Travail, du Programme des Nations unies pour l’environnement et du Programme des Nations unies pour le développement par exemple. Ces prélèvements seraient ensuite reversés au pays de départ ou à des organisations internationales en vue d’utilisations à des fins sociales, environnementales ou éducatives dans le pays de départ.

Trois objectifs seraient ainsi en mesure d’être atteints :

  • Protéger les modèles sociaux dans les pays développés ;

  • Défendre les intérêts des travailleurs du Sud ;

  • Favoriser les marchés nationaux.

The ConversationQuel que soit le niveau de développement des pays concernés, de telles mesures seraient sans doute aujourd’hui bienvenues et de nature à dépasser les ambitions du commerce équitable traditionnel. On en reviendrait alors au « doux commerce » qu’évoquait Montesquieu, un commerce des Nations qui serait générateur de paix entre elles. Quelles que soient les solutions retenues, conserver cet objectif sera essentiel dans les semaines qui viennent.

Hugues Poissonnier, Professeur d'économie et de management, Directeur de la Recherche de l’IRIMA, Membre de la Chaire Mindfulness, Bien-Etre au travail et Paix Economique, Grenoble École de Management (GEM)

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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