Bonnes feuilles : L’art d’utiliser l’intuition pour prendre des décisions éclairées

Le manager doit, de plus en plus, prendre des décisions, souvent peu évidentes, dans un temps limité et en s’appuyant sur ses compétences, ainsi que sur celles de ses collaborateurs. Dans un tel contexte, le recours à son intuition, comme à celle des personnes avec lesquelles il travaille, apparaît de plus en plus utile.

Ce recours peut notamment lui permettre d’abord de mobiliser sa créativité, ce qui est important pour sortir du cadre et innover. L’intuition constitue également un moyen de préserver sa santé, car en complément d’une analyse rationnelle, elle permet de laisser s’exprimer toutes les composantes de sa personnalité au moment de la prise de décision et d’être mieux en accord avec sa personne.

Enfin, l’intuition renforce la pertinence des décisions : un être humain prend en moyenne 35 000 décisions par jour. Pour la plupart d’entre elles, une analyse uniquement rationnelle s’avère souvent insuffisante.

Ces avantages font l’objet du livre « Manager avec l’intuition » (éditions De Boeck Supérieur) de Quentin Mirablon, fondateur de The Buyer’s Lab, et Hugues Poissonnier, professeur associé à Grenoble École de Management, dont The Conversation France publie ici les bonnes feuilles.

 

Sortir du cadre

À l’heure de la digitalisation et du développement de l’intelligence artificielle, on se demande de plus en plus comment évoluera la fonction de manager, et même si elle existera encore dans les années à venir. Nos entreprises sont plongées dans une course à l’innovation, où tout doit évoluer rapidement et où le manager est, au travers de ses décisions, mis à l’épreuve. […]

La capacité de s’entourer des meilleures compétences et de travailler de façon efficace est devenue cruciale. Il doit notamment s’entourer de collaborateurs fiables, agiles et capables de faire preuve d’innovation. Il doit être capable de penser autrement, c’est-à-dire de sortir du cadre, de remettre en cause la fonction et de bouleverser les acquis.

Par ailleurs, de plus en plus de responsabilités pèsent sur le manager, et il serait dangereux de ne pas tenir compte de ces évolutions en continuant à manager « à l’ancienne » […]. Pour autant, la pertinence de l’intuition est, depuis longtemps, et régulièrement, questionnée.

 

Laurent Bibard, philosophe : Sortir de sa zone de confort (Xerfi canal, décembre 2019).

 

Darwin nous rappellerait qu’il est urgent de s’adapter pour survivre, surtout dans un écosystème où tout va très vite. Il est grand temps de changer ce qui mérite de l’être (non pas parce que le changement serait forcément meilleur que la stabilité, tant s’en faut, et il existe d’ailleurs de nombreuses pratiques vis-à-vis desquelles l’enjeu essentiel est sans doute la préservation, mais parce que, dans le même temps, il faut bien reconnaître que certaines choses méritent de changer).

Ces changements à apporter exigent sans doute de penser avec le cerveau droit et de mobiliser l’intuition. Il peut paraître surprenant de faire de l’intuition […] une clé des évolutions requises dans le monde du management. C’est ici que le rôle du manager prend tout son sens : mettre en œuvre sa capacité à prendre les bonnes décisions, au bon moment, sous pression.

 

Laisser les émotions s’exprimer

Dès 1987, Simon proposait d’établir un lien fort entre intuition et émotions dans la prise de décisions managériales, dans un article au titre explicite : Making Management Decisions : the Role of Intuition and Emotion […].

Deux grandes voies se développent en parallèle en matière de reconnaissance du rôle des émotions au travail. La première s’oriente vers la gestion des compétences émotionnelles au service de la performance au travail. La seconde s’oriente davantage vers la question de la santé psychique au travail et étudie les difficultés associées à un manque de travail émotionnel.

Fredrickson (2003) a bien montré comment le fait de cultiver des émotions agréables (joie, contentement, fierté…) permet de développer d’importantes ressources.

Ces dernières peuvent être classées en trois grandes catégories : les ressources physiques (par exemple, le développement de la coordination, le renforcement et la préservation de la santé, l’accroissement du niveau d’énergie), les ressources psychologiques (développement de la résilience et de l’optimisme, du sens des priorités…) et les ressources intellectuelles (développement des compétences de résolution de problèmes, créativité…).

Chacune de ces ressources a tendance, en retour, à développer la capacité de ressentir des émotions agréables, enclenchant donc un cercle vertueux.

Au-delà des émotions agréables ou positives, il nous semble important de cultiver l’émodiversité. Les émotions désagréables sont aussi très précieuses en ce sens qu’elles fournissent une information sur les besoins non satisfaits. Sans entrer ici dans une analyse très détaillée, il est possible de rendre compte des origines (déclencheurs), des manifestations (notamment physiologique) et des effets des émotions de base […]. 

Les émotions étant intrinsèquement liées aux expériences vécues et découlant d’un processus de sélection naturelle des réponses les plus appropriées (car favorisant la survie à l’origine) dans ces différents contextes, il est illusoire d’imaginer, comme c’est pourtant parfois suggéré dans certaines entreprises, laisser les émotions sur le pas de la porte. Bien sûr, des stratégies de neutralisation des émotions existent.

Elles ne modifient pas le vécu des individus, et de telles stratégies finissent toujours par se retourner contre ces derniers. Au-delà de l’enjeu de santé publique, le développement des compétences émotionnelles trouve aussi un réel intérêt au regard de la pertinence des décisions que les individus seront amenés à prendre ou de la qualité des relations qu’ils pourront développer. Une qualité indispensable à la confiance, à la collaboration et à la réussite de la co-innovation.

 

Créer un cadre propice à l’intuition

L’intuition est aujourd’hui omniprésente au travail, de manière consciente ou non, chez le manager et le collaborateur. Au cours des dernières années, nous nous sommes progressivement détournés de l’idée que le cadre professionnel idéal n’admet pas l’existence des prises de décisions intuitives, pour nous apercevoir qu’elles font non seulement partie intégrante du travail du manager, mais qu’elles y jouent aussi un rôle crucial à tous les niveaux […].

Il est de notre devoir de mettre en place toute une logistique interne afin de promouvoir et favoriser l’utilisation de l’intuition. Dans la grande majorité des cas, le changement matériel à apporter est faible et ne demande qu’une infime contribution pécuniaire. L’engagement et l’envie du manager seront de mise.

 

Valérie Mérindol : Bien gérer l’aménagement des bureaux, c’est crucial ! (Xerfi canal, avril 2018).

 

L’un des premiers rôles d’un manager est de créer un environnement propice au développement et à l’épanouissement de ses collaborateurs. Il s’agit de répondre à un bon nombre de besoins afin de répondre aux critères culturels et sociaux.

Dans notre cas, le manager intuitif devra mettre en place toute une organisation interne afin d’influencer les actions intuitives de ses collaborateurs, de manière consciente, comme des zones propices au développement des idées intuitives et innovantes, ainsi que les outils supports adaptés, mais également, de manière inconsciente, avec un décor approprié.

 

Deux grandes leçons à retenir

Notre expérience de l’intuition au quotidien nous a conduits à cette conclusion : il y a deux grandes leçons à retenir qui peuvent vous aider à prendre de meilleures décisions :

  • – Les décisions rationnelles, bien que très présentes dans les croyances collectives, sont devenues inefficaces dans un contexte marqué par l’existence de nombreux et fréquents changements. Elles nous enferment dans des croyances limitantes et dans des cadrages mentaux qui nous ferment à toute innovation et création par la personne elle-même.

Nous sommes partis du principe que la pensée rationnelle avait ses limites et qu’il était temps de passer à la vitesse supérieure, dans tous les sens du terme. Pour créer davantage de valeur, le manager n’aura pas d’autre choix que de s’adonner à de nouvelles pratiques et processus « out of the box ».

Nous avons vu dans l’ouvrage qu’en plus de vous faire prendre des décisions plus pertinentes, l’intuition était salutogène et qu’elle procurait de nombreux bienfaits pour la santé physique mais aussi mentale. Son enjeu est d’accompagner le manager à faire de son équipe de collaborateurs un délicieux melting-pot, avec comme facteur de lien : l’humain.

  • Les décisions intuitives ne seront que de très faible qualité en entreprise si elles ne sont pas accompagnées d’une connexion rationnelle. L’intuition peut prendre la forme d’une idée, d’un flash, d’une découverte, que vous devez justifier et prouver par des éléments de recherche concrets. Quel que soit votre secteur d’activité, ces deux composantes seront indispensables pour prendre des décisions éclairées.
Éditions De Boeck Supérieur
Sous cet angle, l’étude de l’intuition va au-delà de la simple prise de décision. Elle permet d’assister à l’émergence, ou au renforcement, pour les organisations les plus matures, d’un nouvel état d’esprit et d’un nouveau style de management qui vous ouvre un nombre incalculable de nouvelles possibilités en matière d’innovation, de motivation et de résultats.
S’ouvrir à son intuition entraîne ainsi petit à petit à revoir les façons de manager et à remettre en question l’évident, l’ancré dans nos méthodes de fonctionnement, avec soi-même et aussi, et surtout, avec les autres.
The Conversation

 

Hugues Poissonnier, Professeur d'économie et de management, Directeur de la Recherche de l’IRIMA, Membre de la Chaire Mindfulness, Bien-Etre au travail et Paix Economique, Grenoble École de Management (GEM). Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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