Au temps du coronavirus, ces enfants confinés en ville : dans quelles conditions ?

À l’heure actuelle, les enfants sont censés continuer l’école à distance. Mais leurs conditions de vie se prêtent-elles à des études paisibles ? Enseignements d’une enquête grenobloise.

Nous savons l’importance pour apprendre de disposer d’un espace à soi, dans un environnement calme. Nous savons aussi l’importance pour les enfants de pouvoir faire des pauses et se dépenser, jouer ou même rêvasser. Des enjeux très liés aux conditions de logement des familles, et qui en dépendent totalement en ces temps de confinement. Or, la situation matérielle de beaucoup de foyers est aujourd’hui critique.
Alors que les élèves sont censés continuer leur scolarité à distance, Jean‑Michel Blanquer a estimé que les enseignant·e·s avaient perdu contact avec 5 % à 8 % des élèves. Si les instructions ont bien été reçues par les autres foyers, disposant d’un minimum de connexion numérique, cela ne signifie par non plus que leurs conditions de vie se prêtent à une paisible poursuite de leurs études.

 

Une enquête menée dans la métropole grenobloise (permettant de nourrir la construction d’indicateurs de bien-être soutenable territorialisés) nous permet de cerner plus finement la situation dans laquelle se trouvent un certain nombre d’enfants aujourd’hui. Si ses résultats ne peuvent pas être extrapolés à d’autres territoires, ils font ressortir des questions qui se posent partout ailleurs, de manière plus ou moins marquée.

 

Un tiers de familles en maison

Revenons d’abord en quelques mots sur le cadre de cette étude, impliquant chercheurs, professionnels des politiques publiques, élus, citoyens et militants associatifs. Les résultats présentés s’appuient sur une enquête comprenant environ 70 questions sur les conditions de vie, et diffusée auprès d’un échantillon représentatif (en termes d’âge, de sexe, de professions) de la population de la métropole grenobloise.

 

Dans l’enquête 2018 (enquête 2018 IBEST), les foyers avec enfants représentent 50 % de l’échantillon de 1000 personnes interrogées. 26 % des foyers comprenant des enfants sont locataires, 68 % sont propriétaires et 6 % sont dans une autre situation. La part des foyers avec enfants en secteur social et ceux propriétaires est légèrement plus élevée par rapport au niveau métropolitain.

 

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Un tiers des foyers avec enfants habitent dans une maison individuelle. Six foyers avec enfants sur 10 vivent en appartement, dans un immeuble collectif, avec moins de possibilité donc de se dépenser et de répondre à leur besoin de nature, deux besoins qui paraissent essentiels au vu des études existantes sur le bien-être.

À Grenoble, en 2018, 42 % des foyers avec enfants n’ont accès à aucun jardin privé ou collectif. 18 % avait accès à un jardin collectif et 40 % à un jardin privatif. Les limitations sur les jardins collectifs ont pour incidence que l’on peut considérer que 60 % des enfants quel que soit leur âge n’ont pas aujourd’hui d’accès facile à un espace de nature.

 

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Ne pas avoir de jardin concerne particulièrement les foyers comprenant des enfants jeunes de moins 14 ans. En effet, 47 % de ces foyers n’ont pas du tout accès à un jardin, 20 % ont accès à un jardin collectif et 33 % à un jardin privé.

Les foyers ayant de jeunes enfants vont plus souvent au parc public que les autres. En effet, 57 % des personnes n’ayant pas de jardins privés et ayant des enfants de moins de 14 ans déclarent se rendre fréquemment au jardin public.

Ce taux n’est que de 19 % pour les personnes n’ayant pas d’enfants jeunes et jouissant d’un jardin. 8 % des personnes ayant des enfants de moins de 14 ans n’ayant pas de jardin (collectif ou privé) ont par ailleurs un accès difficile aux espaces verts dans la métropole, même en temps normaux.

 

Logements sur-occupés

Si la taille du foyer a déjà une incidence sur la gestion de l’espace dans le lieu de vie, elle est aussi associée à un moindre accès à un jardin. En effet, 48 % des foyers comprenant trois enfants ou plus n’ont pas accès à un jardin privé ou collectif. L’accès est aussi compromis pour 39 % des foyers comptant un à deux enfants. La situation est encore plus tendue pour les familles monoparentales puisque 55 % de ces familles n’ont pas accès à un jardin.

 

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Témoignant de la stratégie de substitution des ménages, les ménages n’ayant pas accès à un jardin privé se rendent plus fréquemment aux parcs que les autres et ont par conséquent été plus touchés du point de vue de leur bien-être du fait de la fermeture de ceux-ci. Ainsi, 42 % des foyers ayant des enfants de moins de 14 ans disent aller principalement au parc afin d’accompagner leur enfant y jouer.

 

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On peut toutefois supposer que certains des foyers avec enfants ne sont pas restés dans leur logement principal et qu’ils ont pu par exemple aller chez des grands-parents, des amis dotés d’un jardin. Toutefois, nous posons l’hypothèse qu’une grande partie d’entre eux ou elles n’aient pas bénéficié d’une telle offre (notamment les moins aisés), soit parce que les proches connaissent des conditions de logement analogues, soit parce que leur inscription sociale dans des réseaux amicaux ou familiaux d’entraide est fragile.

Sur ce deuxième volet explicatif, soulignons que 6 % des foyers avec enfants déclarent qu’il ne pourrait pas compter sur quelqu’un en cas de difficultés.

Ainsi, beaucoup de foyers sont obligés de « faire avec » les conditions de vie telle qu’elles se présentent aujourd’hui. Et pour 19 % des foyers avec enfants, ils faisaient déjà avec puisqu’il n’avait pas eu le choix de s’installer là où ils habitent.

15 % des foyers avec enfants étaient déjà confrontés à une situation de sur-occupation du logement. Or, un quart des foyers avec enfants n’ayant pas accès à un jardin sont en situation de sur-occupation du logement. Dans ces conditions, si beaucoup voient dans la crise l’opportunité pour construire une société plus égalitaire, la polarisation des hiérarchies sociales est déjà en marche dans le temps long du confinement.

 

Enjeux publics

Par ailleurs, si ces indicateurs permettent déjà d’apporter un éclairage sur les inégalités de situation qui sont accentuées par la situation de confinement actuelle, ils sous-estiment néanmoins les situations de précarité dans lesquels vivent les personnes et les enfants en France et à Grenoble.

En effet, les données présentées étant issues d’une enquête, il demeure des « invisibles » de la statistique, notamment les foyers les plus précaires vivant en squat, dans un bidonville, en hôtel ou à la rue.

Environ 4 millions de personnes seraient aujourd’hui en situation de mal-logement en France d’après le dernier rapport de la fondation Abbé Pierre. Parmi ces personnes mal-logées, si on trouve une grande part de personnes seules, la part des enfants concernés tend à augmenter en Europe. Ils étaient 600000 dans ce cas, selon le 15ᵉ rapport sur l’état du mal-logement de la fondation Abbé Pierre, publié en 2010.

10 % des ménages avec enfants sont dans une situation de sur-occupation du logement d’après le rapport sorti en 2019. Ce sont aussi entre 1,5 million (seuil de 50 % du niveau de vie médian) et 2,7 millions (seuil à 60 %) de jeunes de moins de 18 ans qui vivent dans une famille pauvre.

La situation tragique dans laquelle beaucoup de personnes et d’enfants se trouvent dans la situation de confinement rappelle une nouvelle fois la nécessité d’une réponse politique et collective d’ampleur sur ce sujet.The Conversation

Fiona Ottaviani, Enseignante-chercheuse en économie - Grenoble Ecole de Management - Univ Grenoble Alpes ComUE - Chaire Paix économique, Mindfulness, Bien-être au travail - Chercheuse associée au CREG - Université Grenoble Alpes, Grenoble École de Management (GEM)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

 

Légende photo : A Grenoble, en 2018, 42% des foyers avec enfants n’ont accès à aucun jardin privé ou collectif (enquête IBEST).

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