Jérôme Cros est directeur général de l’entreprise industrielle André CROS, dans l’agglomération grenobloise. Promoteur de l’économie de fonctionnalité et de valeurs d’entreprise responsables, il obtient en 2013 le Label Lucie, grâce au déploiement d’une politique RSE précurseur. La crise sanitaire, en 2020, l’a conduit à investir, avec ses associés et collaborateurs, un processus visant à adopter le statut de société à mission. A la clé, la promotion du bien commun comme une finalité pour l’entreprise. Entretien.
Quel est votre parcours au sein de l’entreprise familiale ?
J’ai suivi des études de mécanique, puis de commerce. Après une première expérience commerciale dans le secteur de la papeterie, j’ai rejoint l’entreprise familiale, en 2001, en tant que chargé d’affaires. Je suis passionné de technique, et j’ai œuvré à la baisse des consommations d’énergie chez nos clients et au développement de l’économie de fonctionnalité au sein des Etablissements CROS (CaReOS - l’offre d’usage des Ets CROS). Proche de mon frère ainé, qui avait repris la direction de l’entreprise en 2009, nous avons initié, en 2015, une codirection. En 2018, je suis devenu directeur général de l’entreprise.
Aujourd’hui, je continue d’œuvrer à la pérennité de l’entreprise, qui compte 65 collaborateurs et réalise quelque 13 M€ de chiffre d’affaires annuels. J’ai impulsé et je soutiens des transformations pour favoriser sa résilience, tout en me transformant moi-même : soutien au déploiement de l’intelligence collective, développement d’une politique RSE au travers de notre labellisation Lucie, en 2013, développement du business model de l’usage, réorganisation en pôles d’activités pour gagner en proximité avec nos clients, projet de collaborateurs associés…
En 2020, en pleine pandémie, vous avez initié un processus visant à adopter le statut de société à mission, qui devrait être effectif en octobre 2021. Quels sont les facteurs qui ont motivé cette action ?
La PMI CROS travaillent dans les métiers de l’énergie, dans les domaines de l’air comprimé et du vide industriel, de l’eau et des systèmes de pompage, de l’énergie mobile et des engins de forage. En l’état actuel, notre modèle de croissance n’est pas durable. Cette prise de conscience s’appuie notamment sur le rapport Meadows du Club de Rome, qui augure de l’effondrement des ressources naturelles – les métaux, le cuivre… – à échéance de 20 ou 30 ans. Ce rapport, datant de 1970, a notamment mis en exergue la finitude des matières premières et la nécessité d’une croissance soutenable.
Cette prise de conscience, à l’échelle de l’entreprise, s’est vue renforcée lors de la crise sanitaire en 2020. Elle nous amène aujourd’hui à faire évoluer notre modèle et nos métiers. L’enjeu est d’amener l’ensemble des équipes à ce niveau de conscience : la technologie peut nous aider, mais elle ne peut pas tout. Il est impératif d’agir maintenant et de prendre les devants, plutôt que de subir.
Par ailleurs, je représente la troisième génération de dirigeants des établissements CROS. Notre grand-père, le fondateur de l’entreprise sous sa forme actuelle – elle a été initialement fondée en 1784 –, a déjà connu l’effondrement du marché du cuir, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, au profit du caoutchouc. J’ai donc la conscience aigüe que nous ne sommes que de passage…
Vous soutenez que le statut de société à mission est « propice à la création de valeur à travers une raison d’être : la promotion du bien commun. » Quels sont concrètement les bénéfices attendus pour l’entreprise, ses collaborateurs, ses clients, fournisseurs… ?
Nous n’avons pas entamé cette démarche dans une logique de « bénéfices attendus ». Cette démarche est née de l’électrochoc du premier confinement. Le monde s’oriente vers une complexité de plus en plus grande, et l’entreprise constitue un joli levier d’action : elle vit grâce à un écosystème, des parties prenantes… Il faut l’envisager comme une ressource, un commun. Le statut de société à mission constitue un levier, un moyen d’aller plus loin que la démarche RSE. Il change notre rapport et notre contribution au monde : il s’agit là d’ancrer une mission sociétale et environnementale au cœur de nos statuts.
Quelles sont les prochaines étapes de déploiement ?
Nous sommes, mes associés et collaborateurs, dans une démarche de gestion sur un temps long. En 2017, déjà, nous avions déployé une vision à 2023. Nous travaillons donc en 2021, et durant tout 2022, en vue d’une déclinaison de notre vision jusqu’en 2030. La démarche est collaborative. Elle intègre toutes les équipes pour des applications tangibles au quotidien. Ce que je peux en dire, aujourd’hui, c’est que l’essentiel portera sur la réduction de notre empreinte environnementale. La finalité est de quitter cette croissance sans fin, pour tendre vers un développement soutenable, et d’inscrire l’entreprise dans une démarche qui soutient la vie.
Acquérir le statut de société à mission est un chemin. Nous comptons aujourd’hui parmi les 200 ou 300 premières entreprises françaises à tendre vers ce statut, qui a un impact sur la gouvernance de l’entreprise et sur la mobilisation des équipes. On se donne donc du temps et des espaces de réflexion. Notre statut de société à mission nous permettra d’être contributeur au monde et à la société en général en trouvant un point d’équilibre. Chez nous, réaliser des bénéfices est un moyen et non une finalité. Cette ressource financière permet d’agir au long cours, de soutenir, de pérenniser l’entreprise et son écosystème, et non pas de distribuer des actifs aux actionnaires.