Quand l’effort de guerre redistribue les cartes de la filière alimentaire
Dans la guerre menée contre le coronavirus, agriculteurs, industriels et distributeurs se sont positionnés en première ligne pour nourrir les Français. Pour faire face à la multiplication des faiblesses, créées par la crise tout au long de la filière, les acteurs n’ont eu d’autre choix que la solidarité. Eclairage sur une mobilisation sans précédent.
Entretien avec Hugues Poissonnier enseignant-chercheur à Grenoble Ecole de Management, et membre de la chaire de recherche Paix économique, Mindfulness et bien-être au travail. Il dirige également l'IRIMA – Institut de Recherche et d'Innovation en Management des Achats –, et intervient régulièrement dans les entreprises pour des formations sur mesure ou des conférences.
Quelle est votre analyse des initiatives solidaires entre les acteurs de la filière agroalimentaire – producteurs, industriels et distributeurs – durant la crise du Covid-19 ?
Ces initiatives sont à saluer, et font essentiellement échos à des intérêts économiques bien compris, même si des motivations purement bienveillantes ou philanthropiques sont également observées. Ces initiatives ont d’abord consisté à préserver tout un écosystème en période de crise sanitaire, en engageant des relations partenariales avec les fournisseurs. En effet, si l’on perçoit tout l’intérêt de collaborer lorsque tout va bien – via la co-innovation notamment, afin de créer de la valeur ajoutée dans l’ensemble de la chaine –, ce que j’appelle la « collaboration de crise » est très différente.
Dans ce cas, il s’agit d’accompagner les fournisseurs, de leur tendre la main pour leur permettre de faire face à une réalité difficile. Ces initiatives se sont traduites par le fait de raccourcir les délais de paiements permettant ainsi de pallier en partie les problèmes de trésorerie, de lisser (ou délisser, selon les cas) les commandes, etc. Quand tout va mal, comme en contexte de Covid-19, le danger perçu et la peur qui en découle contribue à un recentrage sur le court terme et sur l’interne. On assiste à ce que les psychologues nomment la « réduction du champ attentionnel ». Alors que tout l’enjeu, justement, est de porter le regard au-delà, d’élargir le champ attentionnel pour envisager les impacts des décisions à long terme et pour intégrer les partenaires, notamment les fournisseurs, dans la réflexion : il s’agit de raisonner en « entreprise étendue » et de prendre réellement soin de l’écosystème économique.
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